La pénurie de lait infantile aux États-Unis se poursuit après un pic au mois de mai, et ce malgré
la mise en place de mesures d'exceptions par le gouvernement.
De multiples facteurs sont avancés,
parmi lesquels le manque de main d’œuvre et les ruptures dans les
chaînes d'approvisionnement en matières premières venant de Chine en
raison de la pandémie de Covid-19, l'inflation qui pousse les famille à
faire des réserves de produits essentiels, mais surtout l'arrêt de la
production d'un des plus grands fournisseurs étasuniens, Abbott
Nutrition, incriminé dans des cas d'infections aux
cronobacters. La situation, qui touche particulièrement les plus précaires,
profite aux entreprises européennes comme Danone et Nestlé
qui ont multiplié les expéditions vers les États-Unis. Chaque scandale
sanitaire permet au marché de se recomposer et constitue de fait une
opportunité pour les multinationales de l'agroalimentaire. En 2008, la
commercialisation en Chine de lait infantile frelaté à la
mélamine a provoqué l'hospitalisation
de dizaines de milliers de nourrissons
et l'effondrement de la production nationale. Les industriels européens
(comme le breton Sodiaal) ont alors tenté d'inonder le marché chinois à
grands renforts d'investissements et de partenariats,
avant de déchanter.
L'émergence d'un leader national (Feihe) face à une concurrence
laminée, l'impact de la pandémie sur les expéditions de lait
infantile européen et
la baisse durable de la natalité chinoise
ont calmé leurs appétits. D'autant que le secteur agroalimentaire
européen n'est pas exempt de scandales. En 2017, la vente pendant plusieurs mois de lait
infantile contaminé à la salmonelle provoque des dizaines
d'hospitalisations et son producteur, Lactalis,
est accusé d'avoir voulu dissimuler son implication. Une enquête est
toujours en cours.
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Entre 2015 et 2019, la moitié des grossesses dans le monde n'auraient pas été choisies délibérément, près des deux tiers de celles-ci se seraient soldées par un avortement, dont près de la moitié réalisés de manière non médicalisée, ces derniers constituant
une des causes principales de mortalité maternelle. C'est, en résumé, le constat dressé par le Fond des Nations Unies pour la population (UNFPA) dans son
rapport sur l'état de la population mondiale 2022, qui pose cette question : qu'est-ce qu'un taux élevé de grossesses non désirées dit du rapport de nos sociétés aux femmes ? Un premier élément de réponse est fourni par le compte des préjudices et des coûts d'opportunité des grossesses non-désirées pour les individus et la société, qui seraient
"inquantifiables" selon L'UNFPA : risques pour la santé mentale et physique (en particulier celle des survivantes de violences), exclusion de la vie sociale et politique des mères, rétrécissement des perspectives éducatives et économiques pour les familles dépendantes des salaires, stigmates pour les générations suivantes, coûts pour les systèmes de santé... Les auteurs accusent en premier lieu des normes sociales discriminatoires qui soumettent les mères à des violences et à des mécanismes de domination de classe et de genre, qui prennent la forme d'un contrôle des corps, d'un contrôle reproductif, voire d'une coercition reproductive. Le rapport, qui évoque une
"érosion du libre arbitre", affirme ainsi que 23% des femmes dans le monde sont dans l'incapacité de refuser un rapport sexuel. Mais l'UNFPA pointe aussi du doigt l'inconséquence des gouvernements et du marché, comme ici à propos de la contraception masculine :
"Les gouvernements ont-ils le devoir de favoriser la mise au point de contraceptifs destinés aux hommes (..) ? La société a, pour l'essentiel, laissé les marchés en décider (...). Les seules perspectives mercantiles n'étant pas à la hauteur des enjeux, les gouvernements, en vertu de l'obligation qui incombe aux États de lutter contre les stéréotypes de genre (...), devraient intervenir davantage". Une manière de rappeler que ne pas agir contre le non respect du libre arbitre et du droit de chacune à disposer de son corps revient à les cautionner en violation de la plupart des conventions internationales, à commencer par la
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979) et la
Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (1990).
Une responsabilité rappelée début avril aux différentes parties du conseil de Sécurité de l'ONU par Pramila Patten, Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits. Quarante-neuf d'entre elles sont soupçonnées
"d'être responsables de [la mise en œuvre de]
schémas de violence sexuelle" lors de conflits, et beaucoup sont récidivistes.
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Ni révolutionnaire, ni innovant :
dans un entretien au Journal du CNRS,
le professeur en informatique Michel Beaudouin-Lafon porte un regard
critique sur le métavers, cet
“environnement virtuel collaboratif” dans
lequel investissent massivement les plus grandes entreprises
multinationales du numérique. Héritier spirituel des communautés
virtuelles des années 1990, basant son expérience sensible sur du
matériel encore inabouti, le métavers millésime 2022 serait avant tout
un nouveau territoire pour l'économie des données et de l'attention
selon le chercheur, qui met en garde contre les risques psycho-sociaux
et de sécurité liés à ce type d'univers. Partant du premier cas d'agression
sexuelle reporté dans le métavers de l'entreprise Facebook, le chercheur
en sciences de l'information
Olivier Ertzscheid va plus loin en
discutant la question du droit des espaces virtuels. Il rappelle que
l'agression
“est une intentionnalité” imputable à son auteur et non
“une
fonction que l'on peut activer ou désactiver”. Il fait ainsi référence à
l'ajout, en réponse à l'agression, d'une fonction technique de blocage qui charge la victime d'assurer elle-même sa propre sécurité et d'assumer seule les conséquences (bien
réelles) de l'agression, en permettant à la plateforme de dégager sa responsabilité. Contre ce solutionnisme technologique amoral,
l'auteur appelle à la mise en œuvre d'un
“engagement autour de valeurs
fondamentales, par le biais d'une constitution promulguée en pleine
conscience”, d'après les mots de
Lawrence Lessig (professeur de droit et
auteur de
l'article "Code is Law"). Pour Olivier Ertzscheid,
l'apparition de plusieurs régimes de réalité (physique, augmentée,
physique) doit nous questionner sur la façon dont
“nous les peuplerons
pour y faire société”.
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Anne Clerval, Antoine Fleury, Julien Rebotier, Serge Weber (dir.). Espace et rapports de domination. Rennes : PUR, 2015. 399 p. ISBN : 978-2-7535-3693-7.
En réponse aux multiples crises sanitaire, économique, politique et
environnementale, de nombreux décideurs ont procédé à des
arbitrages (concernant l'identification des vulnérabilités, leur priorisation, la
répartition des coûts) fondés sur une conception technoscientifique et étroite des risques, appelant à la responsabilité et la prise en charge individuelles. Les conséquences n'ont pas été les mêmes pour tous et toutes, les contraintes se surajoutant parfois aux difficultés, aux frustrations, à la souffrance. L'augmentation consécutive et attendue des inégalités a
renforcé un sentiment de vulnérabilité et d'injustice parmi les plus
précaires, démultipliant ainsi les conséquences de la crise tout en
provisionnant la prochaine. Cet épisode toujours en cours montre que
l'étude et la gestion des crises ne peut faire l'économie des rapports
sociaux de pouvoir qui participent de leur production. C'est le point de
vue des auteurs de Espace et rapports de domination, dont voici
un résumé de lecture, qui proposent de penser ensemble les rapports
sociaux conflictuels, la production des risques et les configurations
spatiales qui en découlent.
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Les manifestations
se sont multipliées tout au long du mois d’août au Honduras contre l'établissement de Zones d'emploi et de développement économique (Zonas de empleo y desarrollo éconómico, ZEDE). Inscrite dans la loi en 2013
après un coup de force législatif de l'actuel président Juan Orlando Hernández avec l'appui de milieux d'affaires américains, leur création doit permettre d'attirer des investisseurs étrangers et des activités industrielles par l'établissement,
dans de vastes régions du pays, d'une fiscalité plus faible qu'ailleurs, d'un accès à une main d’œuvre nombreuse et bon marché et de normes sociales et environnementales assouplies. En outre, la loi prévoit de confier la gestion des moyens de police, de justice et de détention à l'administration privée de chaque zone. Cette dernière dispose enfin de facilités d'accès au foncier par l'expropriation afin de simplifier l'installation des activités de production. Leurs détracteurs les considèrent comme les héritières des enclaves bananières (comme celles de la
célèbre United Fruit Company) et dénoncent une forme de néocolonialisme ultralibéral. Leurs craintes portent en particulier sur la perte de souveraineté du peuple sur une large portion du territoire national et sur le risque de voir ces enclaves devenir des refuges pour les narcotrafiquants et les hauts fonctionnaires poursuivis par la justice, dans un pays à la corruption endémique. L'ONU
a exprimé en juin dernier sa préoccupation vis-à-vis du risque d'atteintes aux droits de l'homme au sein de ces ZEDE. Pour autant, le journaliste Marcel Barang rappelait dans un article paru en janvier 1981
dans le Monde Diplomatique que le modèle des zones franches, dont les ZEDE sont le dernier développement, avait largement bénéficié à cette époque du soutien de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), dans l'optique d'industrialiser les pays en développement dépendants des exportations de produits de base.
"Plus généralement", ajoutait t-il,
"les organismes internationaux tels que la Banque mondiale ont fait leur la stratégie d’"industrialisation orientée vers l’exportation"
qui sous-tend la prolifération des zones franches ; ils exercent de fortes pressions sur les pays récipiendaires de leur aide pour les intégrer dans ce projet global."
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