Ni révolutionnaire, ni innovant :
dans un entretien au Journal du CNRS,
le professeur en informatique Michel Beaudouin-Lafon porte un regard
critique sur le métavers, cet
“environnement virtuel collaboratif” dans
lequel investissent massivement les plus grandes entreprises
multinationales du numérique. Héritier spirituel des communautés
virtuelles des années 1990, basant son expérience sensible sur du
matériel encore inabouti, le métavers millésime 2022 serait avant tout
un nouveau territoire pour l'économie des données et de l'attention
selon le chercheur, qui met en garde contre les risques psycho-sociaux
et de sécurité liés à ce type d'univers. Partant du premier cas d'agression
sexuelle reporté dans le métavers de l'entreprise Facebook, le chercheur
en sciences de l'information
Olivier Ertzscheid va plus loin en
discutant la question du droit des espaces virtuels. Il rappelle que
l'agression
“est une intentionnalité” imputable à son auteur et non
“une
fonction que l'on peut activer ou désactiver”. Il fait ainsi référence à
l'ajout, en réponse à l'agression, d'une fonction technique de blocage qui charge la victime d'assurer elle-même sa propre sécurité et d'assumer seule les conséquences (bien
réelles) de l'agression, en permettant à la plateforme de dégager sa responsabilité. Contre ce solutionnisme technologique amoral,
l'auteur appelle à la mise en œuvre d'un
“engagement autour de valeurs
fondamentales, par le biais d'une constitution promulguée en pleine
conscience”, d'après les mots de
Lawrence Lessig (professeur de droit et
auteur de
l'article "Code is Law"). Pour Olivier Ertzscheid,
l'apparition de plusieurs régimes de réalité (physique, augmentée,
physique) doit nous questionner sur la façon dont
“nous les peuplerons
pour y faire société”.
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Inventé par les pères du concept de
“paternalisme libertarien”, le
nudge (“coup de pouce”)
a fait l'objet d'une publication dans le magazine de l'Inserm en novembre. L'article revient sur cet outil de suggestion comportementale qui consiste
“à modifier nos habitudes, sans nécessiter un niveau d'attention élevé et prolongé de notre part”.
De nombreux exemples sont cités, le plus souvent basés sur des
stimulations visuelles (étiquetage, marquage) non-explicites quant à
leur objectif réel. L'Inserm cite
“une méta-analyse de 96
expérimentations [qui] montre que les nudges qui font appel à la
réflexion des consommateurs, comme le Nutri-Score, sont moins efficaces
que ceux qui touchent aux émotions”. Henri Bergeron, sociologue à Sciences Po Paris et directeur de recherche au CNRS cité par l'Inserm, rappelle que
“les
nudges n'ont pas d'impact sur les conditions sociales d'existence,
comme le pouvoir d'achat. Fonder une politique de santé publique sur les
nudges est un projet minimaliste, qui renonce de fait à transformer la
société”.
La revue des médias rapproche ces dispositifs des
“dark patterns” (interfaces truquées), techniques de manipulation par le design très répandues sur le web et dont le but est
“d'orienter l'utilisateur vers des choix qu'il n'aurait probablement pas faits en connaissance de cause”. Claude Castelluccia, directeur de l'équipe Privatics de l'Inria cité dans l'article, suggère que ces manipulations sont
“les conséquences même du modèle économique de l'internet et de ses services “gratuits”
”. La revue des médias estime que dans le cas des
nudges comme dans celui des
dark patterns, et
“à leur insu, il s'agit de priver les utilisateurs de leur capacité à choisir”.
Lire la suite de Entrée #23 - 31.12.21
La mobilisation des agriculteurs
se poursuit en Inde, un an après l'adoption par le parlement de trois lois controversées qui visent à libéraliser le secteur agricole. Ces lois mettent fin au contrôle des prix pour de nombreuses denrées de base et amènent la possibilité de les vendre à des prix librement négociés en dehors des marchés de gros supervisés par les États (
mandis), devenus des quasi-monopoles locaux. La disparition des outils de régulation du marché agricole (
qui soutiennent l'activité de 41,5% de la population active et l'indépendance alimentaire d'1,3 milliards d'habitants) fait craindre une concentration des terres agricoles au profit des plus riches,
comme dans l'état du Bihar, et l'augmentation de la sous-alimentation. Mené par les agriculteurs du nord du pays et en particulier par la communauté sikh, le mouvement de contestation
fait face à des accusations de séparatisme portées par le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi,
qui s'est appuyé sur la Cour suprême pour tenter de légitimer sa position. Le mouvement bénéficie néanmoins d'un large soutien populaire : le 26 novembre dernier, il a été à l'origine de ce qui est considéré comme la plus grande grève au monde,
avec un nombre de participants estimé à 250 millions.
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Le 11 mars dernier, l'anniversaire de la catastrophe de Fukushima, survenue il y a dix ans, a rappelé à l'opinion publique l'existence d'une controverse sur les conséquences sanitaires et environnementales de l'exploitation de l'énergie nucléaire. Ce thème fort du débat public des années 1990 est aujourd'hui éclairé par de nouvelles données et analyses : la gestion de l'accident de Fukushima a suscité de nombreuses études et commentaires, tandis que les demandes toujours plus pressantes de justice des victimes des essais nucléaires français ont permis de requestionner les études officielles à la lumière d'expertises nouvelles et de documents déclassifiés.
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Dans un article publié en octobre dans la revue
Loss Prevention
Bulletin, le Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industriels
(BARPI)
fait état de l'augmentation de l'impact des événements climatiques
sur les installations industrielles françaises. Ainsi, le nombre
d'accidents liés aux événements naturels a plus que doublé en dix ans,
tandis que ceux liés aux fortes chaleurs a été multiplié par 8, passant
de 7 enregistrements en 2010 à 56 en 2019. Un rapport de l'ONU,
cité par Sylvain Genevois sur le blog collectif Cartographie(s) numérique(s),
alerte de son côté sur les conséquences du vieillissement des barrages
hydroélectriques. Construits majoritairement au milieu du XXème siècle,
ces installations accusent leur âge et souffrent de
“la fréquence et la
gravité croissantes des inondations”. Leur dégradation, combinée aux
modifications hydrologiques induites par le changement climatique et
l'artificialisation des cours d'eau et des sols font peser des risques
importants sur les habitants en aval. Dernier exemple en date :
la rupture d'un glacier de l'Himalaya le 7 février dernier, provoquant une crue éclair qui a détruit un barrage hydroélectrique et tué plusieurs ouvriers.
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